Le prince Carol de Hohenzollern-Sigmaringen naît le 3 octobre 1893 à Sinaïa. Il est le premier des héritiers de la dynastie à voir le jour sur le sol roumain. Après des études qui ont révélé chez lui certaines aptitudes intellectuelles, il est envoyé à Potsdam en 1913 afin de parachever sa formation militaire, son ascendance allemande orientant ce choix. Le jeune prince, petit-neveu du premier roi roumain Carol Ier (1881-1914) et fils aîné du roi Ferdinand Ier (1914-1926) devait, à sa naissance, pérenniser la dynastie à la tête du royaume. Observateur privilégié, dès son plus jeune âge, de la situation intérieure roumaine, il vit deux crises majeures - la révolte paysanne de 1907 et la première guerre mondiale - qui orienteront son caractère ainsi que sa perception de la vie politique du royaume. En 1916, effectivement, il voit l’invasion de son pays par les armées austro-allemandes ainsi que les manÅ“uvres politiciennes des dirigeants roumains de l’époque. De cette défaite serait née son aversion des partis.
Parallèlement à ces événements tragiques, Carol se retrouve très vite dans une situation personnelle difficile. Il épouse, le 31 août 1918, sans le consentement de son père, Ioana Valentina " Zizi " Lambrino (1898-1953). Le mariage donne naissance à un fils. Annulé en 1919 sous la pression paternelle, Carol est contraint de se remarier le 10 mars 1921. Il épouse à cette occasion Hélène de Grèce (1896-1982), fille du roi Constantin Ier de Grèce. De cette union naît un fils, Michel (Mihai). Marié par raison d’État, Carol s’éloigne très vite de sa nouvelle femme (le divorce est prononcé en 1928) et se lie rapidement avec une roumaine d’origine juive, Elena Lupescu (1902-1977), qui restera jusqu’à la fin de sa vie sa seule et unique maîtresse. La vie privée relativement dissolue du jeune prince incite Ferdinand Ier à le déshériter et à le priver de la succession au trône dès 1925 au profit de Michel Ier de Roumanie. Le parti national-libéral (partidul national-liberal) au pouvoir en Roumanie, dirigé par Ion Bratianu, très lié au roi Ferdinand et hostile à ce prétendant trop proche de leurs adversaires politiques nationaux-paysans (partidul national-taranesc), appuie de tout son poids la décision royale. Dès le décès du roi en 1927, la régence est instituée. Encouragé par les appels d’un mouvement carliste en forte progression, par la bienveillante neutralité du gouvernement national-paysan de Iuliu Maniu (au pouvoir depuis 1928), ainsi que par la faiblesse de la Régence, Carol, exilé en France depuis trois ans, rentre en Roumanie en juin 1930 et retrouve le pouvoir après un véritable coup d’état, constitutionnalisé de facto par les dirigeants.
Le prince obtient immédiatement son avènement au trône, aux dépends de son propre fils, sous le nom de Carol II, le Parlement abrogeant aussitôt l’acte d’abdication de 1925. Très vite, le nouveau souverain cherche à imposer un système de gouvernement personnel, influencé directement par Alexandre Ier de Yougoslavie et Boris III de Bulgarie, tous deux souverains autoritaires dans leurs royaumes respectifs. L’échec de son projet d’union nationale (1930-31) entraîne Carol sur la pente de l’affrontement direct avec les partis. Entretenant la division des organisations politiques démocratiques (sans forcément la susciter), s’appuyant parfois sur les mouvements d’extrême droite (notamment la Garde de fer de Corneliu Codreanu), Carol se retrouve très vite isolé sur la scène politique roumaine. Après avoir un temps fait confiance aux nationaux-paysans (1932-33), il impose ensuite au pays, et jusqu’en 1937, un gouvernement national-libéral. En 1938 - après une crise politique sans précédent dans le royaume, l’extrême droite légaliste accédant même au pouvoir pour deux mois au début de l’année - Carol II impose sa dictature royale et promulgue une nouvelle constitution autoritaire.
Luttant avec acharnement contre la Garde de fer qu’il perçoit dorénavant - notamment après les assassinats des présidents du Conseil Ion Duca et Armand Calinescu - comme un réel danger, Carol II reste fidèle à la politique étrangère traditionnelle de la Roumanie. Bénéficiaire des traités de paix qui ont suivi la première guerre mondiale, Bucarest est lié à la France et la Grande-Bretagne mais cherche aussi, surtout après 1936, l’apaisement avec l’Allemagne et l’URSS. Après l’invasion de septembre 1939, alors que la Roumanie a déjà perdu le soutien de la Tchécoslovaquie, " avalée " par l’Allemagne, Carol II remplit les obligations du royaume contractées avec la Pologne au cours des années vingt et ouvre ses frontières au gouvernement polonais et aux restes de son armée. Seule la défaite de la France contraint Carol II à faire des concessions. Entouré de puissances hostiles, le souverain ne peut que céder à l’ultimatum de Staline (juin 1940). Il doit restituer la Bessarabie (au nord-est de la Roumanie), annexée en 1918. Carol II est également contraint de rétrocéder la Dobroudja (au sud du pays) à la Bulgarie. Il doit enfin rendre les deux tiers de la Transylvanie à la Hongrie (août 1940), sous la pression directe du gouvernement allemand auquel est allié le régent Horthy.
Complètement déconsidéré, devenu plus qu’impopulaire, Carol II doit, afin d’éviter une insurrection qui menace, confier la présidence du Conseil au général Ion Antonescu, officier réputé proche de la Garde de Fer. Celui-ci, profitant de la situation politique délicate du royaume, obtient l’abdication de Carol II, au profit de son fils Michel, ainsi que les pleins pouvoirs. Le " conducator " demande immédiatement l’aide allemande et fait entrer la Roumanie, en juin 1941, au côté de l’Axe dans sa guerre contre l’URSS. Exilé au Portugal, Carol épouse enfin Elena Lupescu en juin 1947. Il décède en 1953, sans jamais avoir revu ni son fils, ni son pays, tombé sous la coupe communiste.
Matthieu BOISDRON
" La Roumanie des années trente. De l’avènement de Carol II au démembrement du royaume (1930-1940) ", éditions Anovi, 2007, 224 pages.
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